lundi 27 février 2012

Trop ou pas assez

Toujours trop ou... pas assez!

Trop exigeante, trop impliquée, trop enthousiaste, trop souriante, trop idéaliste, trop solitaire, trop compliquée, trop indépendante,  trop rapide, trop demandeuse ...
Pas assez travailleuse, pas assez conciliante, pas assez ouverte, pas assez adaptable, pas assez reconnaissante, pas assez sérieuse, pas assez conforme ... et j'en passe!

La liste pourrait ainsi continuer et ... ne plus s'arrêter! Pourtant, ce ne sont là que des raccourcis qui, si on n'y réfléchit un tant soit peu, ne font pas sens. Malgré tout, ces écrans de fumée rendent l'horizon on ne peut opaque parfois. Ainsi, lorsque ces trop ou pas assez me pèsent, le sentiment que quelque chose me manque irrémédiablement refait surface, jusqu'à parfois me terrasser. Tant et si bien que je ne sais plus si la figure du monstre, c'est moi ou bien alors un certain monde réducteur qui m'encerclerait. Sans doute un peu des deux. En tout cas, ces "appréciations" - ces jugements plutôt - ne datent pas d'hier : déjà au collège et au lycée, on m'a donné des étiquettes. J'ai gardé mes bulletins. "bavarde trop", "ne travaille pas assez" ou "doit fournir des efforts" (c'est pareil) : quand certaines de mes copines avaient "élève sérieuse", pour moi l'appréciation qui revenait le plus souvent, c'était "dilettante". Je sais à présent que ces remarques reflètent des attentes particulières même si je l'avoue, je n'arrive toujours pas à les décrypter correctement. Disons que je les décrypte mais qu'il m'est simplement impossible d'y répondre parce que ce n'est ni dans ma nature, ni dans ma culture! Ce mal-entendu permet en tout cas à mes détracteurs -oui, oui il y en a :)!- de me trouver arrogante alors que cette liberté lourde à porter marque un respect indéfectible pour la liberté de penser de chacun, de l'être existant.

Pour oublier ces invectives, il faut donc que je m'active, que mon énergie s'exprime au premier plan pour que ces remarques moralisatrices ne soient plus que de menus détails fondus dans un arrière plan le plus large possible. C'est cette notion d'instant qui me sauve, non pas au sens qu'on lui accorde communément mais comme pour Lou Bertignac,  13 ans, héroïne du très beau libre de Delphine de Vigan, No et et moi
Depuis toute la vie je me suis toujours sentie en dehors, où que je sois, en dehors de l'image, de la conversation, en décalage, comme si j'étais seule à entendre des bruits ou des paroles que les autres ne perçoivent pas, et sourde aux mots qu'ils semblent entendre, comme si j'étais hors du cadre, de l'autre côté d'une vitre immense et invisible.*
Pourtant hier j'étais là, avec elle, on aurait pu j'en suis sûre dessiner un cercle autour de nous, un cercle dont je n'étais pas exclue, un cercle qui nous enveloppait, et qui, pour quelques minutes, nous protégeait du monde.
Ce sont donc au travers ces ruptures, ces ouvertures, ces ellipses que je me meus. Et c'est sans doute cela qui force ma pensée, qui me donne cette divergence, enfouie tout profond. Voilà ce que signifient ces "trop" ou ces "pas assez" , en fait une divergence qui ne se construit pas à partir du vide mais qui prend son appui sur la réalité. Voilà donc mon trésor, mon trésor à moi, ce que je dois chérir : les difficultés s'estompent et ma personnalité s'exprime, courageusement. "Sans peur et sans reproche"! Avouez que l'image du chevalier est plus valorisante que celle d'alien, non?
Divergence : souvent confondu avec arborescence, terme plus joli et consensuel.

Quel est l'intérêt de ces propos, pourrait-on se demander? Et puis, cette référence au chevalier Bayard, ça ne rime à rien, mais rien du tout! Qu'est ce qu'on en a à faire de ces états d'âme? Après tout, chacun les siens!
Eh, bien, moi, poussière d'étoile comme tant d'autres, je souhaite juste écrire que toute personne douée a le droit de fonctionner autrement, que  l'intelligence est de facto multiforme et qu'elle ne peut être seulement conditionnée par une série de" trop" ou "pas assez" qu'on additionnerait. C'est un peu d'ailleurs comme la série des "dys" couramment utilisée dans le jargon des "Enfants Intellectuellement Précoces". C'est déprimant, non, de croire que certaines normes prendraient le dessus et de s'imaginer l'imparfait comme une entrave.
Tout est en effet possible.Les rêves existent bien.
Si on admet que par deux points on peut faire passer une droite et une seule, un jour je dessinerai celle-ci, de lui vers moi ou de moi vers lui.**
Voilà ce qu'imagine Lou Bertignac quand elle regarde le grand Lucas.


* et ** No et moi, Dephine de Vigan, le Livre de Poche, 2007, p.19 et 23

samedi 18 février 2012

Une soirée russe

Coïncidence. Il fait un froid glacial aujourd'hui, avec un vent cinglant qui viendrait de très loin, du grand est, de Sibérie! Si, si.
Une différence de taille néanmoins : le ciel est bleu froid, les températures négatives glacent les os.

Le jour de cette soirée là, le ciel est blanc mat. Immobile, la couche de nuages laisse à peine filtrer le soleil. Huit degrés, c'est un jour d'hiver doux.
Le matin, Artem, russe, vient d'arriver à l'école maternelle. Ses parents l'accompagnent. Ils sont jeunes, leurs habits sombres et seyants. Les yeux de la femme sont noir geai comme ses cheveux épais qui descendent jusqu'au bas de son dos. A leurs côtés, pour cette rentrée singulière, un des grand-pères est là, en léger retrait. La maîtresse de maternelle les a accueillis un peu plus tôt, prévenante et un peu embarrassée ; Artem, lui, regarde les autres enfants, son regard balaie aussi les parents qui les accompagnent. Il se déplace dans le petit périmètre vide de meubles ou de jouets, large lieu de passage au milieu de la pièce qui permet de rejoindre les porte-manteaux, le coin bibliothèque et la grande salle de motricité. Aucun membre de la famille ne parle français encore. Les petits camarades dans la classe paraissent agir comme à l'accoutumée : certains regardent Artem mais sans insistance comme si ils lui donnaient le temps de s'approprier l'espace. La maîtresse avaient prévenu de son arrivée dans la classe la semaine précédente.

Comment sa journée s'est-elle passée? Je n'en sais pas grand-chose en fait. Si, il a pleuré pour la sieste et la maîtresse a quitté la salle de sieste pour rester avec lui dans la classe , "Il a peur de rester tout le temps à l'école, c'est pour ça qu'il a pleuré".
Quoi d'autre?
Comme le reste de cette journée extra-ordinaire dans la vie de classe me fut raconté en russe, je n'eus pas les détails juste une idée de l'atmosphère de la journée. En effet, Poupoune de retour à la maison pour le goûter n'a presque plus parlé français de la soirée. "GLAVSKA... KOUzISKI...DJIKUKsblAAA'klA" Ses peluches installées tout autour du tapis de sa chambre, Ours, Nounours Bleu, Petite soeur, Requin, Dragon, Camille et les autres ont, eux aussi, écouté le récit russe de Poupoune pendant plus d'une heure et demie "GI GILOKZOU" Les jeux étalés, les livres ouverts, les couvertures sorties, Poupoune leur a raconté sa rencontre avec Artem (AKtium, puis dès le lendemain, ARTiUm) et le russe était devenu la langue officielle de la chambre. Quand vint l'heure du bain, Poupoune enleva ses habits TSIOUKIZLAVKA. Si, une fois, alors que je devinais qu'elle me parlait - en russe toujours- j'entrai dans la salle de bain et avant de reprendre sa narration elle me dit "maman, tu sais, je ne sais presque plus parler français." Je fis l'étonnée et je souris. Aussitôt après, elle continua de converser en russe avec les canards et gants de toilette BAKA.. KILOVKA... GOUDOUGLIOUSKI...
C'est ainsi que nous passâmes une soirée russe. Au moment du diner, chacun notre tour tenta de traduire les réponses que Poupoune pouvait nous donner sur les faits et gestes d'Artem à l'école. Ainsi, jusqu'au coucher, KAZOVKA..GIVZESKI... GAAkOUkivlglA. Seule l'histoire du soir dérogea à la règle que Poupoune s'était fixée : elle retrouva sa langue maternelle le temps du câlin puis sombra dans un sommeil bien mérité ;-).

dimanche 5 février 2012

LE CALvaire

Un CALvaire. Avec pas seulement la première de ses lettres en majuscule, non, non!... CAL, beaucoup plus signifiant dans ces trois lettres, plantées là, surtout lorsque je regarde la définition de son sens usuel sur Lexilogos (les autres définitions méritent également le coup d’œil, http://www.cnrtl.fr/definition/cal),
Épaississement et durcissement de l'épiderme qui se forme à la suite d'un frottement continu. 
Ainsi, loin d'être croyante, j'ai souvent l'impression de porter la croix et de me frotter malgré moi à l'épais, au rugueux d'un système qui ne m'épargne pas et laisse des traces. Cela, surtout depuis que je suis confrontée à l'école via mes enfants, enfin essentiellement avec l'aîné qui a deux sauts de classe à son actif, un minimum.
Au passage, je me demande pourquoi, plus jeune à l'école, j'ai eu des soucis seulement beaucoup plus tard. Comme beaucoup de parents d'enfants doués qui ont commencé à décrocher au collège, voire au lycée d'ailleurs. A présent, il est fréquent que le décalage se ressente avant même une entrée au Cours Préparatoire. Je ne suis pas sûre que ce soit uniquement lié à un meilleur "dépistage" de la douance. Terme choquant quand on y pense. 

Alors pourquoi bon sang, le CALvaire prend-il de l'ampleur au fil de la scolarité des enfants quand on en a?! D'abord, parce que, sans doute, l'école renvoie à un système en place avec lequel chacun fonctionne et qui, malheureusement, ne convient pas vraiment à une personne douée. Les sauts de classe en sont l'illustration concernant les enfants dans leur scolarité. 

Ce que j'évoquerai ici est un peu différent. L'école-CALvaire, c'est la mise au jour de dysfonctionnements, des doués -ce ne peut être que la faute des doués très souvent - puisqu'il convient à une majorité. Ces dysfonctionnements entraînerait un rejet flagrant de la différence puisqu'il faut convenir à un certain modèle. Je ne parle pas là des professeurs, mais bien de schémas sociaux où chacun doit savoir rester à sa place. Cela implique au sens large, les professeurs mais surtout les autres parents, sa propre famille, le rapport que j'entretiens avec mes enfants, et moi-même bien évidemment, dans mon fonctionnement. Le bât n'épargne aucune de ces facettes puisque l'école c'est le savoir personnel, collectif, social, etc. Or j'avoue, les années passant, il m'est de moins en moins facile de concilier avec ce savoir-là.

En maternelle, avant qu'il commence à il y avoir des difficultés dans la classe et dont certains signes sont en fait depuis longtemps en place, il y a une période idyllique : les goûters avec les petits copains de la classe, les bisous et les embrassades à la sortie de l'école (mes enfants sont très sociables). On s'imagine alors que tout va bien : les parents sont tous concernés par le bien-être de leurs enfants, mettent de côté les "résultats" où se décèlent souvent de petites failles sans grandes conséquences, les jeux sont valorisés et l'auto-apprentissage de mise, avec nombre de supports à disposition. Surtout maintenant.

On s'imagine que Ca y est, l'intégration sociale est en marche, que chacun peut s'exprimer selon ses caractéristiques. Il y a l'enfant timide, le lecteur, l'enfant moteur, les rigolos, les plus sérieux, etc. Le choix des jouets et des livres est si vaste que chacun, enfant et parents, y trouve son compte.Tout cela, c'est ce dont on se convainc, ce que j'aurais bien voulu croire, en quête d'un monde juste. Le bonheur est accessible. La tolérance est de mise, tous s'expriment.

C'est certainement le cas jusqu'à un certain stade. Mais plus les enfants grandissent, plus les différences s'accentuent et ce, de manière assez contradictoire quand j'y pense, puisque ce qui est avant tout mis en avant à l'école c'est le principe d'égalité. Egalité? Il semblerait que plus le trait sur l'égalité est forcé, plus il faut s'adapter en fait. Normal me direz-vous. C'est comme ça que ça fonctionne : "on n'est pas tout seul" "on fait avec les autres". Maintes fois, j'ai entendu : "De toute façon, il n'y a pas le choix, il faut bien s'adapter au système."
S'y adapter est sans doute nécessaire mais nier mon identité m'est devenu tâche impossible. Nier, vous trouvez le terme exagéré, déplacé même, comme ce cal ou la croix que j'évoquais? C'est pourtant ce qui est reproché par le plus grand nombre, de ne pas se mettre dans LE moule et peu importe après tout que cela vous coûte : vos sentiments, vos élans, vos émotions, vos plaisirs, vos envies ou celles de votre enfant. Tout le monde a des envies, mais il faut bien les taire quand il s'agit du bien-être de l'institution, du fonctionnement social. C'est un réflexe qu'on acquiert. Cette pression je l'ai ressentie lors d'une réunion d'information sur les enfants précoces quand j'ai dit que j'étais douée avant de poser une question. Certains parents ont changé de regard, comme si il y avait eux et nous, deux mondes différents.

Un temps, j'ai essayé de concilier avec ce qu'on attendait de moi en tant que personne, en tant que femme allant chercher ses enfants à l'école. En fait, les autres essaient de vous aider ; ce n'est pas facile d'être différent. Certains professeurs (rassurons-nous il y a des professionnels ouverts), d'autres parents, vos propres parents ou beaux-parents, quelquefois d'autres enfants, vous prodiguent des conseils pour faciliter au mieux l'intégration de votre enfant ; certains même vont jusqu'à vous plaindre, tout cela très subtilement, si subtilement que, parfois, il vous faut plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant de comprendre le sens de ce qui vous est dit. J'avoue qu'au début, j'ai joué le jeu. J'ai essayé de gommer au maximum ces différences, ces expressions de grande liberté, de pensées qui me tirent vers le haut, ce que le système souvent appelle des problèmes. Ils peuvent être menus, imposants, ils restent souvent ce qu'on appelle "des problèmes", pas vraiment compatibles. Et puis, lentement, j'en suis venue à me dire que les problèmes n'étaient pas que du fait de mon enfant, ni du mien. J'ai commencé à faire de réelles concessions, cette fois-ci celles qui sont nécessaires au bien-être de mes enfants et au mien propre. OUF : c'est comme le test, un soulagement mais, en même temps, c'est loin d'être gagné :), car nombre d'angoisses remontent, souvent liées à mon propre vécu de cette différence. C'est en même temps la seule solution, savoir qui  je suis et surtout, m'accepter malgré un certain regard, malgré aussi le regard que je peux porter sur mes propres défaillances.