lundi 27 février 2012

Trop ou pas assez

Toujours trop ou... pas assez!

Trop exigeante, trop impliquée, trop enthousiaste, trop souriante, trop idéaliste, trop solitaire, trop compliquée, trop indépendante,  trop rapide, trop demandeuse ...
Pas assez travailleuse, pas assez conciliante, pas assez ouverte, pas assez adaptable, pas assez reconnaissante, pas assez sérieuse, pas assez conforme ... et j'en passe!

La liste pourrait ainsi continuer et ... ne plus s'arrêter! Pourtant, ce ne sont là que des raccourcis qui, si on n'y réfléchit un tant soit peu, ne font pas sens. Malgré tout, ces écrans de fumée rendent l'horizon on ne peut opaque parfois. Ainsi, lorsque ces trop ou pas assez me pèsent, le sentiment que quelque chose me manque irrémédiablement refait surface, jusqu'à parfois me terrasser. Tant et si bien que je ne sais plus si la figure du monstre, c'est moi ou bien alors un certain monde réducteur qui m'encerclerait. Sans doute un peu des deux. En tout cas, ces "appréciations" - ces jugements plutôt - ne datent pas d'hier : déjà au collège et au lycée, on m'a donné des étiquettes. J'ai gardé mes bulletins. "bavarde trop", "ne travaille pas assez" ou "doit fournir des efforts" (c'est pareil) : quand certaines de mes copines avaient "élève sérieuse", pour moi l'appréciation qui revenait le plus souvent, c'était "dilettante". Je sais à présent que ces remarques reflètent des attentes particulières même si je l'avoue, je n'arrive toujours pas à les décrypter correctement. Disons que je les décrypte mais qu'il m'est simplement impossible d'y répondre parce que ce n'est ni dans ma nature, ni dans ma culture! Ce mal-entendu permet en tout cas à mes détracteurs -oui, oui il y en a :)!- de me trouver arrogante alors que cette liberté lourde à porter marque un respect indéfectible pour la liberté de penser de chacun, de l'être existant.

Pour oublier ces invectives, il faut donc que je m'active, que mon énergie s'exprime au premier plan pour que ces remarques moralisatrices ne soient plus que de menus détails fondus dans un arrière plan le plus large possible. C'est cette notion d'instant qui me sauve, non pas au sens qu'on lui accorde communément mais comme pour Lou Bertignac,  13 ans, héroïne du très beau libre de Delphine de Vigan, No et et moi
Depuis toute la vie je me suis toujours sentie en dehors, où que je sois, en dehors de l'image, de la conversation, en décalage, comme si j'étais seule à entendre des bruits ou des paroles que les autres ne perçoivent pas, et sourde aux mots qu'ils semblent entendre, comme si j'étais hors du cadre, de l'autre côté d'une vitre immense et invisible.*
Pourtant hier j'étais là, avec elle, on aurait pu j'en suis sûre dessiner un cercle autour de nous, un cercle dont je n'étais pas exclue, un cercle qui nous enveloppait, et qui, pour quelques minutes, nous protégeait du monde.
Ce sont donc au travers ces ruptures, ces ouvertures, ces ellipses que je me meus. Et c'est sans doute cela qui force ma pensée, qui me donne cette divergence, enfouie tout profond. Voilà ce que signifient ces "trop" ou ces "pas assez" , en fait une divergence qui ne se construit pas à partir du vide mais qui prend son appui sur la réalité. Voilà donc mon trésor, mon trésor à moi, ce que je dois chérir : les difficultés s'estompent et ma personnalité s'exprime, courageusement. "Sans peur et sans reproche"! Avouez que l'image du chevalier est plus valorisante que celle d'alien, non?
Divergence : souvent confondu avec arborescence, terme plus joli et consensuel.

Quel est l'intérêt de ces propos, pourrait-on se demander? Et puis, cette référence au chevalier Bayard, ça ne rime à rien, mais rien du tout! Qu'est ce qu'on en a à faire de ces états d'âme? Après tout, chacun les siens!
Eh, bien, moi, poussière d'étoile comme tant d'autres, je souhaite juste écrire que toute personne douée a le droit de fonctionner autrement, que  l'intelligence est de facto multiforme et qu'elle ne peut être seulement conditionnée par une série de" trop" ou "pas assez" qu'on additionnerait. C'est un peu d'ailleurs comme la série des "dys" couramment utilisée dans le jargon des "Enfants Intellectuellement Précoces". C'est déprimant, non, de croire que certaines normes prendraient le dessus et de s'imaginer l'imparfait comme une entrave.
Tout est en effet possible.Les rêves existent bien.
Si on admet que par deux points on peut faire passer une droite et une seule, un jour je dessinerai celle-ci, de lui vers moi ou de moi vers lui.**
Voilà ce qu'imagine Lou Bertignac quand elle regarde le grand Lucas.


* et ** No et moi, Dephine de Vigan, le Livre de Poche, 2007, p.19 et 23

samedi 18 février 2012

Une soirée russe

Coïncidence. Il fait un froid glacial aujourd'hui, avec un vent cinglant qui viendrait de très loin, du grand est, de Sibérie! Si, si.
Une différence de taille néanmoins : le ciel est bleu froid, les températures négatives glacent les os.

Le jour de cette soirée là, le ciel est blanc mat. Immobile, la couche de nuages laisse à peine filtrer le soleil. Huit degrés, c'est un jour d'hiver doux.
Le matin, Artem, russe, vient d'arriver à l'école maternelle. Ses parents l'accompagnent. Ils sont jeunes, leurs habits sombres et seyants. Les yeux de la femme sont noir geai comme ses cheveux épais qui descendent jusqu'au bas de son dos. A leurs côtés, pour cette rentrée singulière, un des grand-pères est là, en léger retrait. La maîtresse de maternelle les a accueillis un peu plus tôt, prévenante et un peu embarrassée ; Artem, lui, regarde les autres enfants, son regard balaie aussi les parents qui les accompagnent. Il se déplace dans le petit périmètre vide de meubles ou de jouets, large lieu de passage au milieu de la pièce qui permet de rejoindre les porte-manteaux, le coin bibliothèque et la grande salle de motricité. Aucun membre de la famille ne parle français encore. Les petits camarades dans la classe paraissent agir comme à l'accoutumée : certains regardent Artem mais sans insistance comme si ils lui donnaient le temps de s'approprier l'espace. La maîtresse avaient prévenu de son arrivée dans la classe la semaine précédente.

Comment sa journée s'est-elle passée? Je n'en sais pas grand-chose en fait. Si, il a pleuré pour la sieste et la maîtresse a quitté la salle de sieste pour rester avec lui dans la classe , "Il a peur de rester tout le temps à l'école, c'est pour ça qu'il a pleuré".
Quoi d'autre?
Comme le reste de cette journée extra-ordinaire dans la vie de classe me fut raconté en russe, je n'eus pas les détails juste une idée de l'atmosphère de la journée. En effet, Poupoune de retour à la maison pour le goûter n'a presque plus parlé français de la soirée. "GLAVSKA... KOUzISKI...DJIKUKsblAAA'klA" Ses peluches installées tout autour du tapis de sa chambre, Ours, Nounours Bleu, Petite soeur, Requin, Dragon, Camille et les autres ont, eux aussi, écouté le récit russe de Poupoune pendant plus d'une heure et demie "GI GILOKZOU" Les jeux étalés, les livres ouverts, les couvertures sorties, Poupoune leur a raconté sa rencontre avec Artem (AKtium, puis dès le lendemain, ARTiUm) et le russe était devenu la langue officielle de la chambre. Quand vint l'heure du bain, Poupoune enleva ses habits TSIOUKIZLAVKA. Si, une fois, alors que je devinais qu'elle me parlait - en russe toujours- j'entrai dans la salle de bain et avant de reprendre sa narration elle me dit "maman, tu sais, je ne sais presque plus parler français." Je fis l'étonnée et je souris. Aussitôt après, elle continua de converser en russe avec les canards et gants de toilette BAKA.. KILOVKA... GOUDOUGLIOUSKI...
C'est ainsi que nous passâmes une soirée russe. Au moment du diner, chacun notre tour tenta de traduire les réponses que Poupoune pouvait nous donner sur les faits et gestes d'Artem à l'école. Ainsi, jusqu'au coucher, KAZOVKA..GIVZESKI... GAAkOUkivlglA. Seule l'histoire du soir dérogea à la règle que Poupoune s'était fixée : elle retrouva sa langue maternelle le temps du câlin puis sombra dans un sommeil bien mérité ;-).

dimanche 5 février 2012

LE CALvaire

Un CALvaire. Avec pas seulement la première de ses lettres en majuscule, non, non!... CAL, beaucoup plus signifiant dans ces trois lettres, plantées là, surtout lorsque je regarde la définition de son sens usuel sur Lexilogos (les autres définitions méritent également le coup d’œil, http://www.cnrtl.fr/definition/cal),
Épaississement et durcissement de l'épiderme qui se forme à la suite d'un frottement continu. 
Ainsi, loin d'être croyante, j'ai souvent l'impression de porter la croix et de me frotter malgré moi à l'épais, au rugueux d'un système qui ne m'épargne pas et laisse des traces. Cela, surtout depuis que je suis confrontée à l'école via mes enfants, enfin essentiellement avec l'aîné qui a deux sauts de classe à son actif, un minimum.
Au passage, je me demande pourquoi, plus jeune à l'école, j'ai eu des soucis seulement beaucoup plus tard. Comme beaucoup de parents d'enfants doués qui ont commencé à décrocher au collège, voire au lycée d'ailleurs. A présent, il est fréquent que le décalage se ressente avant même une entrée au Cours Préparatoire. Je ne suis pas sûre que ce soit uniquement lié à un meilleur "dépistage" de la douance. Terme choquant quand on y pense. 

Alors pourquoi bon sang, le CALvaire prend-il de l'ampleur au fil de la scolarité des enfants quand on en a?! D'abord, parce que, sans doute, l'école renvoie à un système en place avec lequel chacun fonctionne et qui, malheureusement, ne convient pas vraiment à une personne douée. Les sauts de classe en sont l'illustration concernant les enfants dans leur scolarité. 

Ce que j'évoquerai ici est un peu différent. L'école-CALvaire, c'est la mise au jour de dysfonctionnements, des doués -ce ne peut être que la faute des doués très souvent - puisqu'il convient à une majorité. Ces dysfonctionnements entraînerait un rejet flagrant de la différence puisqu'il faut convenir à un certain modèle. Je ne parle pas là des professeurs, mais bien de schémas sociaux où chacun doit savoir rester à sa place. Cela implique au sens large, les professeurs mais surtout les autres parents, sa propre famille, le rapport que j'entretiens avec mes enfants, et moi-même bien évidemment, dans mon fonctionnement. Le bât n'épargne aucune de ces facettes puisque l'école c'est le savoir personnel, collectif, social, etc. Or j'avoue, les années passant, il m'est de moins en moins facile de concilier avec ce savoir-là.

En maternelle, avant qu'il commence à il y avoir des difficultés dans la classe et dont certains signes sont en fait depuis longtemps en place, il y a une période idyllique : les goûters avec les petits copains de la classe, les bisous et les embrassades à la sortie de l'école (mes enfants sont très sociables). On s'imagine alors que tout va bien : les parents sont tous concernés par le bien-être de leurs enfants, mettent de côté les "résultats" où se décèlent souvent de petites failles sans grandes conséquences, les jeux sont valorisés et l'auto-apprentissage de mise, avec nombre de supports à disposition. Surtout maintenant.

On s'imagine que Ca y est, l'intégration sociale est en marche, que chacun peut s'exprimer selon ses caractéristiques. Il y a l'enfant timide, le lecteur, l'enfant moteur, les rigolos, les plus sérieux, etc. Le choix des jouets et des livres est si vaste que chacun, enfant et parents, y trouve son compte.Tout cela, c'est ce dont on se convainc, ce que j'aurais bien voulu croire, en quête d'un monde juste. Le bonheur est accessible. La tolérance est de mise, tous s'expriment.

C'est certainement le cas jusqu'à un certain stade. Mais plus les enfants grandissent, plus les différences s'accentuent et ce, de manière assez contradictoire quand j'y pense, puisque ce qui est avant tout mis en avant à l'école c'est le principe d'égalité. Egalité? Il semblerait que plus le trait sur l'égalité est forcé, plus il faut s'adapter en fait. Normal me direz-vous. C'est comme ça que ça fonctionne : "on n'est pas tout seul" "on fait avec les autres". Maintes fois, j'ai entendu : "De toute façon, il n'y a pas le choix, il faut bien s'adapter au système."
S'y adapter est sans doute nécessaire mais nier mon identité m'est devenu tâche impossible. Nier, vous trouvez le terme exagéré, déplacé même, comme ce cal ou la croix que j'évoquais? C'est pourtant ce qui est reproché par le plus grand nombre, de ne pas se mettre dans LE moule et peu importe après tout que cela vous coûte : vos sentiments, vos élans, vos émotions, vos plaisirs, vos envies ou celles de votre enfant. Tout le monde a des envies, mais il faut bien les taire quand il s'agit du bien-être de l'institution, du fonctionnement social. C'est un réflexe qu'on acquiert. Cette pression je l'ai ressentie lors d'une réunion d'information sur les enfants précoces quand j'ai dit que j'étais douée avant de poser une question. Certains parents ont changé de regard, comme si il y avait eux et nous, deux mondes différents.

Un temps, j'ai essayé de concilier avec ce qu'on attendait de moi en tant que personne, en tant que femme allant chercher ses enfants à l'école. En fait, les autres essaient de vous aider ; ce n'est pas facile d'être différent. Certains professeurs (rassurons-nous il y a des professionnels ouverts), d'autres parents, vos propres parents ou beaux-parents, quelquefois d'autres enfants, vous prodiguent des conseils pour faciliter au mieux l'intégration de votre enfant ; certains même vont jusqu'à vous plaindre, tout cela très subtilement, si subtilement que, parfois, il vous faut plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant de comprendre le sens de ce qui vous est dit. J'avoue qu'au début, j'ai joué le jeu. J'ai essayé de gommer au maximum ces différences, ces expressions de grande liberté, de pensées qui me tirent vers le haut, ce que le système souvent appelle des problèmes. Ils peuvent être menus, imposants, ils restent souvent ce qu'on appelle "des problèmes", pas vraiment compatibles. Et puis, lentement, j'en suis venue à me dire que les problèmes n'étaient pas que du fait de mon enfant, ni du mien. J'ai commencé à faire de réelles concessions, cette fois-ci celles qui sont nécessaires au bien-être de mes enfants et au mien propre. OUF : c'est comme le test, un soulagement mais, en même temps, c'est loin d'être gagné :), car nombre d'angoisses remontent, souvent liées à mon propre vécu de cette différence. C'est en même temps la seule solution, savoir qui  je suis et surtout, m'accepter malgré un certain regard, malgré aussi le regard que je peux porter sur mes propres défaillances.

mardi 31 janvier 2012

L'écriture

J'adore écrire, ou du moins avoir la sensation que je peux écrire à tout moment. Cela même quand je sais que je n'écrirai pas, tout simplement parce que je n'ai absolument rien à écrire. Plus que le contenu, c'est donc le mouvement qui m'attire.  Esthète, je m'offre des pages et des pages de cahiers, de cartes, de carnets en tout genre ; je ne peux résister au plaisir sensuel que. Le choix de mon agenda depuis les débuts de ma vie professionnelle m'occupe au moins deux semaines, voire plus. Je ne sais combien j'ai amassé de formats différents ; une seule -presque- constante lorsque j'y pense : je préfère les cahiers à lignes simples.
Un temps, je prenais plaisir à dégotter les papiers rares, lorsque ceux-ci étaient diffusés dans des endroits choisis, peu ordinaires, inhabituels. Ils étaient alors comme de petits trésors, des cahiers qui n'avaient pas besoin d'être remplis, ni même griffonnés. Le râpé du papier, les filets artisanaux de la trame me suffisaient presque.

C'est peut-être cela l'écriture, des sensations. Longtemps, j'ai surtout aimé écrire quelques lignes dehors, effleurée par le soleil. Quelques dizaines de jours dans l'année et encore, il ne fallait pas être occupée à autre chose ; alors, j'écrivais quand même, le soir, assise à mon bureau ; j'eus plusieurs correspondances mémorables.
Dans le même temps, très étrangement, j'ai souvent ressenti des difficultés à écrire. Régulièrement, je me suis demandée si j'étais dyslexique, encore maintenant cela peut m'arriver. Pour écrire a-nec-do-te par exemple, je pourrais très bien restée prostrée dix minutes dans une confusion totale, à chercher pourquoi, très soudainement, je n'arrive pas à écrire ce mot, à m'interroger sur les syllabes qui le décomposent, à savoir où se trouve le "c". Bref, à m'avouer que, là, précisément, j'ai un sérieux problème que jusqu'ici je ne m'avouais pas, un gros, de ceux qu'on ne peut surmonter et qui me rappelle comme, finalement, malgré des facilités, l'homme ne maitrise pas grand-chose sur terre. Les mots alors, énormes, peuvent prendre toute la place et vous empêcher de penser..

"Hors-sujet", "Vous n'arrivez pas à rentrer dans le sujet"... Des appréciations qui me rappelaient comme j'étais misérablement petite devant ces Sujets. Déjà, je l'avoue sans honte à présent, je ne comprenais pas ce que signifiait "sujet", alors!, comprendre la question à traiter?! Cela m'était extrêmement impossible. Pourtant, je suivais les cours, intéressée, j'écoutais les professeurs, enfin au lycée, à partir de ce que j'appelle pudiquement ma deuxième seconde, un nouveau départ.
Je suivais des études dites littéraires mais je ne me suis jamais considérée très littéraire, sauf quand  les matières littéraires s'opposaient aux matières scientifiques, aux maths en fait. Voyez le ridicule! "Les maths c'est du français avant tout!" me disait récemment une prof de mon fils. Et ... elle a raison! J'ai toujours aimé les chiffres même si je me le suis longtemps caché.
Pourtant, d'un coup, je n'ai plus compris la syntaxe. Avec les rédactions, je n'ai pas eu le choix tant dans mes études que dans le travail ; il a fallu que je m'y mette, il y allait de ma survie : j'ai appris, essayé, échoué, réussi. En maths, très tôt je me trouvai exclue. J'ai subi cette sotte dichotomie établie entre matières littéraires et scientifiques. Et, depuis l'âge de 13 ans (!), j'ai cruellement manqué de pratique. Le seul lien qui me fut permis : deux heures, une semaine sur deux, optionnelles, en biologie en lycée.

lundi 30 janvier 2012

Douée et encore?

J'ai passé le WAIS il y a quelques années, le bilan a signifié que j'étais .... douée! Prétentieuse, arrogante, condescendante, instable, dilettante, rebelle mais aussi loyale, innovante, créatrice, -très- originale, tout cela de manière si ténue qu'il est difficile d'en connaitre les raisons, rationnellement j'entends bien. Je vous rassure tout de suite, je suis également insupportable, inadaptée, exécrable, une figure de  monstre presque, une mauvaise mère surtout puisque les mères d'enfants doués sont les pires, projettent leurs sentiments de supériorité ou d'infériorité sur leur progéniture, et assouvissent par leur biais leurs revanches tenues secrètes. Difficile de faire le tri donc! Symboliquement, de retour à la maison, je retirai les bijoux que je portais depuis mes vingt ans pour me déshabiller d'un certain passé.

Ces multiples projections au travers lesquelles s'expriment les peurs et les fascinations de l'autre, adulte différent ne sont certes pas faciles à gérer. Voici pourquoi je reviendrai à certains fondamentaux - beaucoup moins inquiétants, du moins en apparence...
Je peux faire plusieurs choses à la fois comme écouter de la musique, écrire et répondre au téléphone même si je dois bien avouer qu'en présence de mes enfants cela devient parfois extrêmement difficile. Étudiante, je pouvais aller faire mes courses, préparer mes valises, organiser des vacances, gérer la paperasserie sans écrire de listes. Très pratique, non? Aussi, lors de mes études de langues, j'apprenais des pages de vocabulaire la veille pour le lendemain, pourtant j'ai commencé à comprendre ce qu'était une rédaction l'année du bac de français, et encore!, il m'était beaucoup plus simple de choisir les commentaires composés, effrayée de me tromper une fois encore. Pourquoi pas après tout? J'aimais décortiquer, analyser, expliquer la langue depuis mon CE1! Et c'est toujours le cas.

Je n'ai jamais été un enfant prodige juste une petite fille sérieuse - précisons, jusqu'à l'adolescence. Je portais des lunettes, lisais le dictionnaire certains soirs et tentais d'écrire des poésies ridicules avec des rimes à rallonges. Je ne savais pas lire à quatre ans ni même à trois, néanmoins, plus tard, lorsque je sus lire de petits romans, mes lectures auraient pu effrayer certaines âmes sensibles : après certains titres de la collection rose (« Oui-Oui » d'Enid Blyton existait déjà), très vite je choisis des titres de policiers pour ados, surtout les "Soeurs Parker", voire les "Alice" , pour finir avec les "Dix petits Nègres" d'Agatha Christie. Mais, surtout, à douze ans, je dévorais le terrible « Moi, Pierre Rivière, Treize ans, ai tué mon père ma mère..; », fascinée.

Vous avez dit douée? Petite introduction.

Douée, surdouée, Haut Quotient Intellectuel soit HQI, adulte précoce, abdouée à présent... Les appellations sont nombreuses et toutes aussi désespérantes que les autres lorsque vous tentez de dire à certains que vous connaissez bien que votre manière de penser est somme toute différente.
Hors-norme au sens premier, hors de la norme, dans mon cas, 1% de la population. Lorsque j'y pense, c'est peu. Cela n'est pas non plus exceptionnel ; pour d'autres doués, avec un QI de 145 et plus par exemple, l'étau se resserre : le pourcentage passe à 1/000 et il devient encore moins aisé de s'imaginer des pairs, même si il est communément accepté que nous sommes tous différents et dignes d'intérêt.

Le plus difficile est avant tout la mesure du quotient intellectuel qui, lorsqu'il est bien fait, est accompagné de bilans psychologiques complémentaires. En effet, ces fameux tests (WISC pour les enfants de 6 à 16 ans et WAIS pour les adultes sujets à des mises à jour récurrentes) sont très souvent jugés insuffisants. Les malentendus sont ainsi nombreux. Les deux reproches principaux sont qu'ils ne prennent en compte qu'une partie de l'intelligence et délaisse l'émotionnel (!) et que ce fameux seuil placé à 130 le plus souvent laisse penser que vous êtes bien prétentieux d'oser dire que vous le dépassez, sachant que la moyenne du quotient intellectuel se situe en général entre 100 et 110.
Or, cette mesure est une nécessité absolue - et pour la personne douée souvent un soulagement - puisqu'il signifie un seuil. Indicateur, il révèle ainsi un mode de fonctionnement plus qu'un palier supérieur qui vous placerait au-dessus des autres. Tout cela est d'ailleurs très bien expliqué par nombre de psychologues spécialistes de la douance (la douance expliquée : http://www.douance.org/) et dont les travaux sont rendus publics. Malgré tout, le tabou reste prégnant :  peut-être par esprit d'homogénéité, il ne faut surtout pas rien dire pour ne pas mettre à mal à l'aise. Voyez même, l'utilisation de ce terme « douance » pourtant utilisé au Canada, en Belgique, en Allemagne et ailleurs, est généralement mal perçu. Si je lis Arrielle Adda, la douance ne pose aucun doute ; par contre, j'en conviens, il m'est difficile d'en parler très clairement. D'abord du fait que cela ne se fait pas, ensuite, surtout, parce que cela me renvoie à mon identité, la relation que j'entretiens avec mon environnement, bref tous ces éléments qui sont si personnels et complexes que je ne peux les décrire que par bribes, comme tout un chacun.

Ces petits rappels faits sur la mesure du quotient intellectuel et le différentiel que cela représente en terme de processus de pensée, je ne me lancerai pas plus avant dans des considérations psychologiques souvent décriées parce que, malheureusement mal connues et mal comprises.
Je ne suis pas psychologue de formation. L'objectif serait plutôt de montrer les ambiguïtés, les deux versants qui caractérisent et créent mon identité. Douée et alors? Qu'est-ce que cela implique? Comment je le vis dans mon quotidien? Avoir un regard autre que celui des psychologues, désacraliser la douance, la faire accepter dans une moindre mesure si cela est possible.

Ces courts messages que je donnerai à lire sont donc là pour combattre des préjugés et idées reçues attribués aux personnes doués qui, dans l'imaginaire, si elles ne sont pas pas des génies peuvent se transformer en monstres d'égoïsme ou psychotiques en tout genre. Mais je prendrai un plaisir certain à relater les cocasseries qu'engendre tout décalage. Ainsi, ma plus grande surprise à l'annonce du résultat du test Wais fut de me rendre compte qu'une grande majorité des personnes que je croise au hasard des rues ne pense pas comme moi. Chacun est unique me direz-vous, cela est certainement vrai. Néanmoins, dans mon cas, il me semblait que j'étais une personne terriblement confuse, au sens que quelque chose d'irrémédiable manquait à ma manière de fonctionner au quotidien.
Il y a donc l'avant test : je dysfonctionnais, je fonctionnais mal et ce, d'autant plus que je m'acharnais à palier ce que je considérais alors comme des déficiences de ma part. Les psychologues spécialistes de la douance appellent cela à juste titre le sentiment d'imposture. Je ne me sentais à ma place car je n'avais pas toutes les clés.
Il y a aussi l'après-test, presque immédiat pour ma part : je n'ai en fait pas de problèmes ou de difficultés psychologiques, je fonctionne différemment, c'est tout. Ce sont ces décalages que je souhaiterais faire partager, pour d'une part apaiser le sentiment de souffrance que peut sans doute procurer tout vécu d'une différence et d'autre part, peut-être encore plus important, pour partager avec humour ce sentiment d'étrangeté si familière que la douance accorde.